jeudi 3 novembre 2011

"Qu'est-ce qu'elle foutait au "Centre" à dix heures du soir, la grosse ?"

Un sketch à présent


Une brève, pas si brève! de comptoir. Un gus entre deux pastagas nommé Boubouc relate une histoire, une agression sexuelle (!) de la veille, fusils à la clef car les agresseurs sont comme lui chasseurs émérites, contre une adolescente corpulente... agression qui a défrayé la chronique du village, à laquelle certes il n'a pas participé et même qu'il a tenté d'arrêter. On lui offre tournées sur tournées, et au fur et à mesure qu'il s'imbibe, on n'arrive pas à croire qu'il s'agit bel et bien d'une tentative de viol sous menace d'armes à feu qu'il relate. Ce sketch là est exact... à la virgule près.



Un village Cévenol un soir d'hiver. Boubouc, le héros du jour, est le client qui fut témoin de l'Histoire qui date de la veille. Deux sublimes, ses potes, énervés de ne rien avoir "pris", arrivent au bar du Centre, tenu par un nouveau patron qui ne ressemble pas à l'ancien, leur copain, ce qui les désole. Il s'agit d'un jeune homosexuel élégant et cultivé, cependant costaud et courageux.
D'emblée, Boubouc a une explication originale.

– "C'est ceux de Génolagues qui avaient encore tout rabattu sur l'adret, les salauds, faudra bien se la régler un jour entre hommes, cette affaire !" ...

Les énervés viennent donc se consoler au troquet du coin avec fusils -sans étui- et cartouchières à côté d'eux, ça va avec et c'est très tendance à Atargues. En ces cas, mieux vaut être loin ou résolument d'accord avec eux sur tous les points de détail même contradictoires qui vont être soulevés dans leur discours pâteux. C'est d'avoir déambulé avec arme chargée, au départ, qui leur est d'abord reproché. Boubouc s'indigne :

– "Z'allaient pas les laisser dans le quatre-quatre tout de même ? Y a plus de sécurité à Atargues en ce moment avec tous ces jeunes qui rôdent au parking, et pas que des arabes, chuis pas raciste, ya des gitans aussi, qu'est ce qu'y foutent les flics on se demande? Si on les leur avait piquées, leurs Winchesters, hein, après, c'était encore pour leur pomme si quelqu'un était blessé, faut pas rigoler avec ces trucs, ça te plombe un sanglier à cent mètres tout de même"…

Dans le feu de l'action, ces braves s'en sont pris à une jeune fille de seize ans et ils sont à présent au poste... en train de décuver. Boubouc est scandalisé.

– "Mais c'était juste pour ri-go-ler, c'était pas sérieux, merde... plutôt pour mettre l'ambiance qu'autre chose, tu sais ce que c'est"...

Car la gamine inexplicablement l'avait mal pris. Ensuite, ils avaient braqué dans la foulée le jeune patron venu s'interposer, l'avaient fortement bousculé et jeté dans un pot d'Atarges modèle géant qui ornait jusqu'à hier le devant du troquet... pot qu'ils avaient ensuite joyeusement canardé au sol. [La jeune fille, terrorisée, ne sortira plus de chez elle et même de sa chambre pendant des mois, le patron, par miracle assez peu atteint, ne fera qu'un jour d'hôpital.] Boubouc explique, une thèse, définitive.

– "C'est la faute au Fred, finalement, il a voulu jouer les Zorro, je te jure, le petit con. Fallait pas qu'y s'y mette, fallait les laisser régler ça entre eux ! C'est ça qui les a énervés, j'ai bien vu, d'ailleurs moi j'ai rien fait au début, on voyait bien que ça irait pas loin, mais le petit pédé, pas moyen de le calmer ! J'ai bien essayé mais quelle tête de pioche! Quel con mais quel con ! Il aurait pu se prendre un mauvais coup si j'avais pas été là mine de rien ! Et pour quoi? Pour que dalle. La fille, ils l'avaient à peine, à peine touchée... faut dire que dans l'état qui z'étaient, y pouvaient pas faire plus, ça c'est sûr." (Rires bon enfant.) "Même quand le Bébert il est venu pour la pizza et qu'y s'est mis à rigoler lui aussi... tu le connais, c'est pas un méchant, pas bien malin, peut-être et un peu coquin, d'accord, mais si fallait tuer tous les idiots, y aurait plus grand monde. (Rires.) Pas de quoi faire une histoire, je le sais j'y étais, pas les flics, c'était juste des chatouilles, quoi... je te jure !"

Un quidam semble dubitatif, légèrement parce que Boubouc aussi, il ne faut pas le contrarier trop hard au xième pastis.


"Bon, je sais ce que tu vas dire, s'ils ont eu les nénés -c'est ce qu'elle a dit du moins, peut-être, je dis pas qu'elle ment, j'ai pas tout tout vu, moi j'étais au comptoir et je faisais ce qu'on y fait d'habitude, je buvais tranquille, tant que ça tourne pas mal, faut jamais attiger- eh bé s'ils les ont eu par hasard, les nénés, c'était sûrement sans faire exprès parce que tu l'as vu, la grosse, question devanture, les pare-chocs, on peut pas les rater ! Bon, mais je te dis et je te répète, ils étaient trop bourrés de toutes manières pour faire quoique ce soit et c'est tant mieux ! D'ailleurs, il a eu de la veine, le Fred. Parce que le Milou, d'habitude, il te plombe un sanglier en charge à deux cents mètres, étalé net, la dernière battue, je l'ai vu faire, en plus qu'il était bourré comme un coing, mais c'est pas ça qui l'arrête, c'est une nature. Bon, là, il l'a pas eu, le Fred, il a eu que le pot, c'est dire qu'il voulait pas faire du mal ! Pas de quoi en faire un flan...


Il l'a bien dit chez les flics d'ailleurs, le Milou, dès qu'il a eu un peu dessaoulé, sans même qu'on lui demande, c'est pas un mauvais gonze, il lui en rachètera un autre, de pot, et plus gros encore, c'est pas une histoire. Il est pas chien comme certains, il sait reconnaître ses torts même qu'il en a pas. Et puis son dos, du Fred, enfin le bas, le cockys qu'ils disent (rires) bien sûr, bien sûr, pour un péd.. note bien, (rire) j'ai rien contre les pédés, dis pas ça, ça les regarde, moi je suis pas original, je préfère les femmes bon mais c'est chacun son goût et plus yen a plus ça nous fait de gonzesses à nous (rires)... Allez, à son âge, ça soudera vite. Quand j'ai tombé de mon tractopelle l'an dernier, je l'ai eu aussi, le coxkys... eh bé, j'ai continué de bosser sur une fesse, c'est tout. Il en parlera plus d'ici dix jours à peine... Je dis pas qu'ils ont eu raison, note bien, pas du tout, mais faut pas les emmerder pour le moindre truc quand même ... Et puis tout le monde sait bien ici que c'est les chasseurs, au Centre, depuis toujours, alors, hein ? C'est leur café. Qu'est-ce qu'elle y foutait la grosse, à son âge en plus, même pas 18 ans, et à dix heures du soir, avec ses pare-chocs au vent, tu peux me dire ? Les parents sont inconscients. Après ça fait des délinquants évidemment. Elle serait restée devant la tévé, ça serait pas arrivé... pareil si elle serait partie dès qu'y sont arrivés, tout pareil. Y en a qui cherchent un peu la merde tout de même, non ?


Et maintenant, c'est le pauvre Milou qui trinque, je te parie qu'il vont lui coller quelques jours fermes... (un des interlocuteurs marque son étonnement)... ben oui, parce qu'il a déjà déconné avant, rien de grave, pareil mais ça lui donne comme qui dirait une recommandation, une priorité peuchère, les femmes, je te jure, enfin c'est comme ça, on est bien content de les avoir dès fois le soir quand on rentre pour la graille.. et dès fois, autre chose (rires) mais qu'est-ce qu'elles sont casse-couilles quand elles s'y mettent tout de même. Bon c'est pas tout ça mais je file au poste avec des munitions -il montre une bouteille- pour les flics, dès fois que ça les disposerait bien comme il faut comme la dernière fois. Mais (soupirs de regret) maintenant, c'est plus comme avant où on pouvait toujours causer, c'est des nouveaux et ils sont un peu cons. Et puis la Loi est changée comme il a dit le Gilou qui s'y connait, on peut plus déconner comme avant, les femmes ont vite fait de prendre la mouche, c'est comme pour picoler, on n'est plus libre. Je le dis toujours, faut se méfier des ceux qui boivent pas, qui rigolent pas, c'est pas des naturels. Avec les anciens, on aurait fêté ça au Centre juste après, mais là... d'autant que (rires) le Centre, il est fermé en ce moment pour travaux, tiens, avec la mitraille d'hier, ô petite mitraille, du temps de Laflour, c'était autre chose, là ça bougeait et pas pour rire. Faut ce qu'il faut."

Et il s'en va récupérer son pick-up garé tout ce temps en double file sur le boulevard dans lequel ses chiens aboient après tous les passants. "Killer, Atil! Vos gueules!"
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Essai d’éthologie comparative 

Dans la nature, certains animaux ont pour habitude de marquer leur territoire en urinant ou en déféquant, délimitant ainsi une zone à l’intérieur de laquelle les femelles et la nourriture leur appartiennent. En meute, ils adoptent alors volontiers un comportement agressif-provocateur vis à vis des femelles ainsi que vis à vis des mâles rivaux ou des simples intrus qui s’y risquent innocemment, tentatives sexuelles sans objet véritable, parfois purement symboliques quoiqu’intempestives, grognements, exhibition des crocs ou des parties sexuelles, aboiements féroces.. 
 
Certains primates supérieurs mâles, à la suite de divers facteurs -traumatismes, mouvements lunaires, dysfonctionnement hormonaux, frustrations, imprégnation toxique chronique ou ponctuelle,  alcool, drogues ou simple émotion- développent également, par régression, un comportement similaire mais plus dangereux, exhibition des dents, frappe de la poitrine en roulement de tambour chez les singes, bombement du torse, agitation frénétique des membres, cris, menaces, esquisses sexuelles sans projet véritable, souvent homosexuelles mais toujours violentes et inopportunes, voire même, chez les hommes, viol réel ou seulement figuré par des propos obscènes, des insultes sexuelles ayant pour but d’humilier la victime et de provoquer l’adversaire présumé surtout s’il est plus jeune,  faible et isolé, et de demeurer seuls maîtres du terrain. L’offense sexuelle, publique  constitue une forme de viol blanc, c’est la prémisse, souvent, d’une rapide escalade vers l’acte réel. La violence de ces tentatives d’appropriation est souvent proportionnelle à la menace sexuelle représentée par les prétendus rivaux, les vieux mâles sur le déclin, en groupe, ou les solitaires se montrent en général les plus dangereux.

Chez les gorilles ou les ours, plus paisibles, le comportement se borne lors de certaines périodes, après s’être assurés d’un public par des cris impressionnants, à arracher de jeunes arbres, à creuser ardemment des trous, à jeter des bâtons en l’air ou à les casser contre des rochers afin de montrer leur puissance et émouvoir les femelles, -qui d'ailleurs y sont relativement indifférentes-. Chez les cervidés et équidés, le brame, l’exhibition de la ramure et une simple poussée, souvent seulement figurée, des jeunes rivaux hors du groupe des femelles suffisent, le vainqueur est celui qui a les bois ou les cornes les plus impressionnants ou qui braie avec le plus de ferveur. Chez les castors, la pariade consiste plutôt à casser des branches, construire des barrages parfois inutiles qui dénaturent le paysage tandis que les oiseaux se contentent de déployer leurs queues au plumage éclatant, d’agiter leurs ailes en haussant le col, sur la pointe des pattes, se dandinant et cacardant bruyamment, bec au ciel. Il s’agit, dans tous ces cas, de se montrer le plus volumineux et le plus tonitruant possible.

Il en va de même pour l’homme mais chez l’ homo sapiens-sapiens, la plus agressive et la plus dangereuse de toutes les espèces, le bâton et les poings se prolongent volontiers en armes à feu : la passion pour celles-ci, le fusil notamment, ainsi que pour toutes les activités qui y sont associées, chasse, guerre, tir, réunions de groupes fermés composés exclusivement de mâles, participe souvent de la symbolique sexuelle d’un super pénis omni performant, docile, toujours prêt à l’usage, à faire feu, volontiers dégainé -faute de mieux- avec une naïve et émouvante ardeur, ainsi que d’une défiance quasi phobique à l’égard des femmes ou des autres en général c’est à dire de tous ceux qui ne sont pas identiques, ces groupes, ultra sectaires, fonctionnant toujours sur le mode du même, femmes dont les exigences supposées sont redoutées : appréhension masquée par des rodomontades plus ou moins Tartarinesques, en cercle monogène hermétiquement clos. C’est la notion de territoire que l’on défend contre tout out – sider...
Essai d’éthologie comparative 
H.L.

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