mercredi 2 novembre 2011

Comment faire un best-seller

C'est simple : prenez quelques faits historiques réels ou acceptés, une abbaye mystérieuse où il se passe des choses bizarres — il s'en passe dans tous les lieux religieux, ne seraient-ce que les visites innombrables de gens à leur recherche justement— des coïncidences de dates sur un personnage ayant existé, une prémonition attestée d'un écrivain sur une catastrophe, celle du Titanic par exemple, ou mieux encore, simplement un sujet d'actualité hyper vendeur déjà bien médiatisé, si possible sanglant ou sexe... voire politique ou les deux car politique pur, c'est moins porteur — l'affaire Grégory fit d'excellentes recettes, Ranucci un peu moins mais tout de même, les histoires de quéquette et de chaussures de Dumas ne furent pas d'un mauvais rapport elles aussi grâce à Christine etc..— Là, dessus, adoptez une position résolument à contre courant de la thèse traditionnelle reconnue, y compris si ce n'est pas logique voire aberrant : moins c'est logique plus ça plaira... Pro violeur ou accusatrice des femmes si vous êtes féministe reconnue ; pro Le Pen si vous êtes juif/ve ou noir/e etc... Les camarades dudit vont vous offrir un piédestal, vous démentez les rumeurs.. tout comme les anti féministes vont vous dérouler un tapis rouge.. 

Brodez un scénario provoc — glamour si possible— laissant entendre que vous détenez des informations importantes dont vous ne pouvez divulguer qu'une partie, dans lequel vous mélangerez réel et imaginaire en lui donnant s'il faut le ton du vrai, du "scientifique" indiscutable, ou de l'initié pour ce qui est du people et du cul qui échappent à toute règle physico mathématique. Même si par la suite vous assurez n'avoir fait autre chose qu'une œuvre d'imagination, personne ne vous croira et c'est très bien... Ou mêlez les deux pour brouiller les pistes.

Ajoutez-y aussi s'il faut -selon les sujets- une dose de mysticisme ou d'anarchisme dur avec un zeste d'humanisme et d'écologie type science fiction pour ratisser large et mine de rien être dans le vent, plus une belle couche de violence : vous tenez là les ingrédients d'un best seller à tout péter. Il n'est pas mal alors de demeurer à l'écart et n'accepter aucune remise en cause directe, vous devez faire vous aussi partie du mystère. Tout le monde se laissera prendre, vous vendrez de plus en plus, les lieux (s'ils font partie du scénar) deviendront aussi célèbres que vous et leurs indigènes vous en seront reconnaissants. Ce n'est pas le petit Maire d'un hameau perdu au fond de l'Ariège qui va vous démentir question apparitions, il a même obtenu une subvention inespérée du Conseil Général pour retaper son village et un pont d'or d'un producteur pour restaurer l'église afin d'y tourner un film sur les "événements". Les libraires seront au pied et quant aux habitants, loin de remettre en cause les "faits" que vous relatez, même s'ils n'en avaient jamais entendu parler avant, ils les corroboreront haut et clair comme évidences historiques connues de tous... croisant les doigts pour que leur pays devienne un Lourdes de bon rapport. De cette providence, vous serez le pourvoyeur.

Si vous optez pour un sujet "politique", alors, en rang serrés, le groupe, les amis et la famille de l'"innocent" que vous défendez —choisissez le important ou le plus franchement coupable voire odieux, il faut choquer— constitueront pour vous un service de presse zélé, gratuit, absolument hors norme. Il faut aussi vous attendre à ce qu'un confrère avisé s'accroche à votre bouquin pour en faire un autre afin de profiter de la manne... remettant en cause votre "recherche" et vous taclant durement. C'est très bien et n'en faites pas cas, il faut qu'il réussisse, ça vous propulsera davantage, on parlera de lui donc de vous, il y aura les "pour-vous" et les "pour-lui" et ça relancera à l'infini. Vous pouvez même le susciter si vous avez des potes dans le besoin. Créer une sorte d'affaire Dreyfus.

Tout ceci ne serait pas grave si vous écrivez bien — si l'innocent est vraiment innocent et le coupable vraiment coupable, mais ce n'est évidemment pas le cas ni le but—... pas grave si cela ne conduisait au placard des littérateurs sincères se morfondant devant leurs manus refusés quand vous croulez sous les propositions d'une suite, contrat juteux à la clef, dollars, conférences, télés... Et voilà le travail, calqué sur le modèle américain: faits divers "réels", mysticisme, suspense, ésotérisme, certitudes "scientifiques", cul, violence, politique (mais là il faut bien choisir ses héros), "enquêtes" censées mettre à mal l'église, l'état ou n'importe quelle institution vendeuse... qui vous fera elle-même vendre car il n'y a rien de plus acheteurs que ceux que l'on damne. Et ceux là en ont les moyens quitte à pilonner ensuite. Quant à ceux qui damnent, ils se précipiteront en premier dans les librairies, l’œil brillant de convoitise. 

Il y aura donc les "pour-vous", les "contre-vous", des débats qui feront s'envoler l'audimat... et envoyer les dollars, c'est le but. Tout est bien. 

Et si cela s'essouffle car cela s'essoufflera forcément, vous allez lasser et votre mauvaise foi, après vous avoir porté peut vous nuire.. des petits filous comme vous ayant déjà fait leur preuves, les éditeurs en ont plein les placards, alors, changez de position, virez à 180 degrés.

Coup de théâtre, brûlez ce que vous avez adoré. Si vous vous êtes fait un nom comme danseuse nue ou "féministe" de choc, faites vous l'apôtre du tchador, (l'inverse est plus périlleux.) 
Finalement vous avez eu des infos, une preuve, c'est un cas de conscience, il vous faut parler: l'innocent que vous défendiez contre vents et marées est bel et bien coupable, vous le le saviez pas avant -vous étiez bien le seul mais baste..- "on" a profité de votre naïveté.. mais à présent vous vous faites un devoir de etc... Là aussi laissez entendre que vous avez des infos perso et si possible plus hard encore que tout ce qui a déjà été dit sur lui, forcément, vous avez côtoyé le diable, vous, pas les autres béotiens. N'oubliez pas, après votre best-seller -même d'ailleurs s'il s'est vendu modérément- vous êtes devenu/e un/e spécialiste écouté/e. Les pro culpabilité (la majeure partie du public puisque vous avez pris soin de choisir un "innocent" indiscutablement coupable) vont alors se ruer sur le bouquin pour river leur clou à leurs détracteurs ("même Machin voyez, à présent dike"), vous êtes sûr du coup. 
Exemple le cador "climatosceptique" dont les "recherches" étaient payées par les trusts pétroliers qui soudain a tourné casaque, promettant au public des "révélations" alarmistes pire encore que tout ce que l'on sait déjà, un "J'accuse" (!) ...

Montrez vous plus catégorique encore que vos "ennemis" de la veille, il faut vous démarquer là aussi sinon vous allez encore lasser ; oui ils ont bel et bien raison, battez votre couple sans modération, rajoutez-en une couche, les repentis, ça se vend toujours bien, forcément, ayant été du côté du diable, ils en connaissent les secrets... et la morale est enfin sauve. Ça repartira. Cette fois, vous pourrez ou non accepter les interviews, une question de circonstances, vous êtes un cador, à vous ou à votre éditeur de voir etc...  Et les gens de bien parfois, toujours un peu naïfs, vous tendront la main. Tapis rouge de tous les côtés. Et argent.
Hélène Larrivé

Texte prémonitoire!! LIEN

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire